Séminaires de Catherine Quéloz

Séminaire du 25 octobre 2001

Ce premier séminaire sur la critique institutionnelle, s’appuie sur différents exemples de l’histoire des expositions. Au travers de ceux-ci, on voit l’importance que prennent des questions comme celle du public, de la légitimité de l’institution, et celle de l’objet d’art.

1- What happened to the institutional critic ?
Exposition organisée par J. Mayer à la Galerie American Fine Art, New York, 1993.

Dans cette exposition J. Mayer pose deux questions essentielles :
- Qu’en est-il des projets qui déplacent le politique dans les institutions, qui tentent de l’activer ou de le rendre conscient hors des institutions ?
- Comment activer les spectateurs ?

Parmi les artistes présents lors de cette exposition, se trouvaient :
G. Bordewitz, vidéaste, réalise des documents qui s’adressent et s’adaptent à différents types de publics et revendique une action collective.
Marc Dion, quant à lui, est plus intéressé par l’analyse d’une institution plus vieille que le musée d’art : le musée d’histoire naturelle. L’analyse de ce type de musée et de ses modes de représentations lui permet de faire une analyse du monde, de la société. Par exemple au travers de l’exposition de l’ours blanc dans les différents musées, il en déduit la façon dont l’Homme se place par rapport à la nature ( s’il se considère supérieur à celle-ci …).
En ce qui concerne le public, certains s’intéressent à le rendre plus actif afin que le public participe à l’art.
Tim Rollins, par exemple travaille avec des enfants. Il intervient avec un groupe mixte (artistes, travailleurs sociaux, etc) hors du circuit artistique. L’artiste articule le discours public (avec le citoyen, le passant) dans la pratique de l’exposition. Il travaille aussi à la recontextualisation des œuvres d’art.
Asger Jhorn (du groupe COBRA) pense qu’il n’y a plus de hiérarchie entre les fonctions : artiste, curateur, professeur, ils sont tout à la fois.

2- L’art conceptuel, une perspective, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1990.

Dans son texte " de l’esthétique d’administration à la critique institutionnelle (aspect de l’art conceptuel, 1962-69) ", Benjamin H.D. Buchloh relève trois points à propos de l’art conceptuel :
- la substitution d’une exposition linguistique à une exposition visuelle est une attaque contre la position de supériorité du visuel dans l’art. Celui-ci ne peut plus se contenter d’être un objet à regarder.
- la place de l’auteur change, et l’artiste n’en a plus forcément la maîtrise.
- il y a une redéfinition des conditions de réceptions de l’art et du rôle du spectateur.
Ainsi L. Weiner utilise le langage comme un dispositif critique pour parler des procédés d’exposition, et mettre en danger le visuel. Il pose la question de la distribution de l’œuvre et refuse la hiérarchie entre visuel et critique. Dans l’établissement de son principe, il inclue l’importance de deux récepteurs : le public et le contexte.
BMPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) font une critique de l’institution passant entre autres par diverses actions : " BMPT n’expose pas ", ou encore la convocation du public dans l’auditorium du Musée des Arts Décoratifs, où il ne se passe rien.
On peut aussi citer comme précédant et fondement, l’exposition de Mel Bochner en 1966, à New York, Working Drawings and Other Visible Things on Paper not Necessarily Meant to be Viewed as Art.
Mel Bochner alors professeur à l’École d’Art Visuel de New York, est invité à organiser une exposition de dessin pour Noël. Il demande alors à différents artistes comme Donald Judd, Carl André, Dan Flavin, Al Jensen, Jo Baer, etc, de lui fournir des dessins, qui ne soient pas forcément des œuvres d’art. L’école n’ayant pas les moyens de les encadrer, et ces dessins n’étant pas des " œuvres ", il pouvait donc exposer des reproductions. Mais les photographier coûtait trop cher ; ils furent donc photocopiés (à l’aide de la première photocopieuse qui existait à l’époque, une Xerox). Ces photocopies furent présentées dans trois classeurs placés sur des socles au centre de la salle d’exposition. Ce qui est intéressant dans cette exposition c’est que la notion de projet apparaît déjà comme une forme d’art. Ce n’est plus seulement l’objet fabriqué, mais aussi tout ce qui conduit à sa réalisation (plans, dessins, etc) qui est art.

3- Projekt 74 Kunst bleibt Kunst, Cologne.
H. Haacke avait proposé un projet d'exposition qui consistait en une série de panneaux montrant les différents propriétaires du tableau la botte d’asperge de Manet et décrivant les ventes successives de ce dernier. Les organisateurs de l’exposition refusèrent le projet car il mettait à jour un certain nombre de système de pouvoir.
Buren proposa alors à Haacke d’exposer des fac-similés sur ses bandes lors du vernissage de presse. En réaction la direction du musée recouvrit les fac-similés de feuilles blanches. Certes Haacke, à nouveau, ne put pas montrer son projet, mais cela permettait de visualiser la censure.

Séminaire du 27 novembre 2001

Ce second séminaire a eu comme objet de réflexion le développement du féminisme et des études de genre (gender studies) depuis les années 60, à partir du texte de Craig Owens :The discourse of others : Feminists and Postmodernism.
Dans cet article, ce critique des années 80, enseignant de Renée Green, Andrea Fraser et d’autres, constate une crise de la notion du modèle occidental, de l’homme qui projet le monde à son image. Le Postmodernisme voit apparaître une prise de conscience de l’Autre au sein de notre culture. L’Autre, celui qui n’avait pas la parole (la femme, " l’indigène " des anciennes colonies), était objet de représentation. Il était peint, décrit, photographié, etc, il faisait l’objet d’une étude, mais n’avait pas la parole. Avec la société post-moderniste, l’Autre se manifeste, devient sujet. Pour illustrer la pluralité existant au sein de notre culture, Owens prend l’exemple de Martha Rosler, féministe engagée depuis les années 60. En 1974-75, Martha Rosler réalise The Bowery in Two Inadequate Descriptive Systems. Cette pièce est composée d’une photographie d’un lieu (contexte) où quelqu’un vit (un SDF). Avec cette photo, Martha Rosler cherche à montrer qu’à cet endroit il y a quelqu’un qui n’a pas la parole. Pour cela elle photographie le contexte, mais en l’absence de la personne. À côté de cette image figure un texte (" polluted, plastered, inebriated ", etc), qu’elle met au même niveau.

En examinant le travail de différentes artistes telles M. Rosler, C. Sherman, etc, il apparaît que les féministes profitent du développement de certaines techniques (photographie, vidéo, performance…), pour se les approprier. Il est plus intéressant pour elles d’utiliser des techniques qui ne sont pas encore liées à une forme de discours dominant.
Autre document sur lequel nous nous sommes appuyés, le catalogue de l'exposition éponymeEnviron 27 ans (peut être plus…), pratiques artistiques et féminismes, organisée par des étudiantes de la formation d’études curatoriales de l’École Supérieure des Arts Visuels de Genève. Ce projet réunissait différentes femmes artistes, curateurs, ayant eu depuis les années 60 une pratique liée à leurs engagements féministes. Nous nous sommes notamment intéressés à la description de la Woman House, (1972), exposition dans une villa de Hollywood, organisée par les participantes du programme d’art féministe dirigé par Judy Chicago au California Art Institute. Ce projet installe "dans toutes les pièces de la villa des environnements, qui abordent directement la vie quotidienne d’une femme ordinaire"(*). Les artistes interrogent "les rôles conventionnels de la femme, (…) l’impact des activités au foyer sur leurs images, et (…) exposent les effets de la répression des femmes dans la société américaine de l’après-guerre"(*). Ainsi Judy Chicago réalise Menstruation Bathroom, qui
"provoque le visiteur dans ses tabous", dans la Kitchen, Suzanne Frazier, réalise Eggs to Breasts. Les œufs qui sont dans la poêle se transforment en seins au fur et à mesure sur les parois, "allusion à la signification sociale de la nourriture, renvoyant au dilemne classique nature-culture, à l ‘association des seins nourriciers de la femme et de son rôle conventionnel comme préparatrice des repas familiaux"(*). D’autres espaces de la villa seront ainsi aménagés par les artistes. Ces différentes expériences mettent en évidence l’importance de l’association, du travail collectif.

(*)Environ 27 ans (et peut être un peu plus…) p137-138.